Cet article est un compte-rendu de la conférence “Santé intégrative et cancer” donnée lors des Assises des pratiques complémentaires le 9 novembre 2023.
Intervenants
Maria Tsakos – Présidente de l’ONG Hope & Life et Patiente experte cancer
Stéphanie Träger – Oncologue médicale
Axelle Birot – Réflexologue du réseau Médoucine
Nathalie Renvoisé – Chef de projet, coordination des approches complémentaires aux soins, Institut Gustave Roussy
Modératrice – Clara Gaudefroy – Responsable communautés grand public et réseau chez Médoucine
La conférence
Cet compte-rendu a été rédigé par :
- Claudia Lima, praticienne en réflexologie du réseau Médoucine
- Justine Reig, praticienne en naturopathie, massage et yoga du réseau Médoucine
Les pratiques complémentaires sont de plus en plus présentes dans le parcours d’accompagnement des personnes atteintes de cancer. Pendant cette table ronde, diverses voix aux expertises variées ont échangé sur cette approche multidimensionnelle. Elles ont dressé un état des lieux, défini la santé intégrative et réfléchi à l’importance de l’approche pluridisciplinaire. En particulier pour les personnes touchées par le cancer.
Pour vous, quelle est la définition de la santé intégrative ?
Des pratiques qui ne remplacent pas la médecine conventionnelle, mais qui complètent l’accompagnement.
Pour Maria Tsakos, qui a vécu un cancer du sein, la santé intégrative se traduit par diverses pratiques complémentaires. Ces méthodes, comme l’ostéopathie, la sophrologie ou la réflexologie, ont apporté soulagement et mieux-être pendant ses traitements conventionnels.
En tant que patiente en oncologie (elle a reçu un accompagnement complet en soins allopathiques de chimiothérapie, et radiothérapie pour guérir de son cancer du sein) et pendant toute la durée son traitement, elle a fait appel à des compléments.
D’abord, l’ostéopathie l’a aidée durant la chimiothérapie, tout comme la sophrologie, la réflexologie, et les massages ayurvédiques. Elle a également fait des cures de corossol, de jus de manioc. Ces compléments ont été bénéfiques; elle a vu la santé intégrative comme indispensable aux soins allopathiques. Stéphanie TRÄGER lui demande si elle avait un coordinateur de soins, mais elle répond que non.
Quand son cancer fut annoncé, on lui donna un papier listant psychologue, soins esthétiques, et activité physique. Stéphanie accepta le support psychologique, mais dut trouver le reste seule.
Elle a reçu des soins kiné pour huit ganglions enlevés, mais seulement trois ans après. Elle ignorait qu’il fallait les commencer plus tôt. C’est elle qui a fait les recherches pour savoir quels soins complémentaires appliquer.
Coordination et collaboration
Toutefois, la santé intégrative ne se limite pas à une offre de diverses pratiques complémentaire.
La cohérence et la coordination sont essentielles, particulièrement en cancérologie intégrative, afin d’éviter les interactions potentiellement dangereuses. Cependant, ces deux aspects sont aujourd’hui souvent inexistants dans la réalité. Maria mentionne avoir dû rechercher elle-même des informations. Les praticiens complémentaires ont agi sans coordination, car son oncologue n’avait pas de connaissances sur ces pratiques.
Stephanie Träger souligne également cette absence de coordination. Selon elle, la santé intégrative repose sur la collaboration et la coordination entre les divers intervenants. Cette dynamique est essentielle afin d’orienter efficacement les patients vers des pratiques complémentaires adaptées et des praticiens qualifiés, tout en veillant au respect d’un cadre éthique strict.
En tant que cancérologue, elle explique qu’en cancérologie intégrative, il ne suffit pas de proposer un panel de pratiques. Cela peut désorienter le patient. L’intégration est fondamentale dans le sens de la coordination. Il faut accompagner le patient pour que l’intégration et la coordination des soins soient correctement appliqués. Il faut penser l’intégration au sein des institutions : quels praticiens et quel type de pratiques ? Ça implique de former et d’enseigner pourquoi intégrer ces pratiques complémentaires dans les institutions. Cela favorise ainsi la coordination pour le patient.
Et pour le patient ?
Sinon, quand le patient cherche de son côté, il faut rester vigilant, car il va trouver des solutions par lui-même. Mais les praticiens ne sont pas tous en lien avec le monde de la cancérologie. Elle met en garde et rappelle ; naturel ne veut pas dire sans danger. C’est d’ailleurs ce qu’ils ont a inscrit dans les premiers référentiels des pratiques complémentaires formulés lors du congrès de l’ASCO (qui sont en libre accès en tant que praticien et que patient et ont pour but d’informer que les pratiques complémentaires ne sont pas anodines et qu’il peut y avoir des interactions graves et contreproductives avec le traitement).
Les soignants, ne pouvant se former à toutes les pratiques complémentaires, ont besoin de praticiens. Toutefois, ceux en médecines douces ne sont pas forcément cancérologues.
Les traitements et antécédents du patient doivent être considérés, car la chimiothérapie varie grandement aujourd’hui. Si un phytothérapeute conseille un produit sans connaître le traitement exact, cela peut entraîner des conséquences graves. Il faut donc se rappeler qu’intégration = collaboration + coordination pour que ça ait un réel intérêt et que cela ne reste pas un effet de mode
Mieux comprendre les pratiques complémentaire et favoriser le dialogue
Nathalie Renvoisé souligne l’importance d’acquérir des connaissances sur les pratiques complémentaires et leur fonctionnement au sein des structures de soin. Cette compréhension approfondie est essentielle pour répondre adéquatement aux besoins concrets des patients en leur offrant des solutions adaptées.”
Pour Axelle Birot, cette coordination sera favorisée par le dialogue entre les patients et les médecins. Aujourd’hui, beaucoup de patients n’osent pas parler à leur médecin lorsqu’ils consultent des praticiens complémentaires, elle encourage à le faire pour aller vers cette coordination.
Au sein de son service en oncologie, une infirmière coordonne les soins de support qui sont ainsi présentés aux patients au moment de l’annonce en fonction de leurs besoins et leurs attentes. Au fil de la cure, les soins peuvent évoluer. Elle rejoint Stéphanie sur le fait que beaucoup de patients leur rapporte que des naturopathes leur ont conseillé des jeûnes intermittents par exemple pour limiter les nausées, mais n’en parle pas toujours à leur médecin, souvent par crainte. Le rôle des soignants, c’est d’inciter les patients à parler de leur complémentation aux médecins car ils ne sont pas suffisamment alertes des réels dangers que ça peut induire et sont souvent persuadés que la complémentation est la bonne. Les patients ne doivent pas cacher les consultations et suivis en complémentarité des soins en cancérologie, sinon le risque est réel.
Elle travaille beaucoup en oncologie gynécologique et la cancérologue était assez sceptique au début de son travail, mais deux ans plus tard elle revient vers elle pour certaines de ses patientes. Le travail se fait donc en équipe et il faut savoir rester à sa place.
Cette vision partagée par les intervenants souligne l’impératif d’une coordination accrue dans la santé intégrative, où collaboration et communication sont essentielles pour offrir aux patients une approche complète et bien encadrée.
Comment faire vivre l’approche pluridisciplinaire et la collaboration entre praticiens et médecins ?
Une meilleure communication sur les indications des pratiques complémentaires.
Pour Axelle Birot, les praticiens ont un rôle fondamental à jouer dans l’explication de leur pratique, leurs indications et leurs limites. Cette nécessité de clarification est cruciale pour éviter les malentendus. Pour elle, c’est essentiel afin d’établir une compréhension claire de ce qui peut être offert et de ce qui ne peut pas l’être.
Stéphanie Träger souligne l’importance d’une communication directe entre praticiens et médecins. Actuellement, c’est souvent le patient qui sert de médiateur entre les médecins et les praticiens complémentaires. Elle reconnaît les réticences des patients à partager leurs pratiques complémentaires et les difficultés des praticiens à être acceptés par les médecins. Elle encourage un dialogue ouvert entre eux pour éviter les malentendus et les réticences mutuelles.
Ce manque de communication est confirmé par le témoignage de Maria qui relate divers échanges qu’elle a eu avec son oncologue qui n’avait pas de connaissances sur les pratiques complémentaire et qui ne pouvait donc pas l’orienter ou la conseiller sur ces sujets
Une intégration progressive au rythme des validations scientifiques
Stéphanie Träger met en évidence la distinction entre les soins de support en oncologie et les pratiques complémentaires. Les soins de support englobent tout ce dont les patients ont besoin lors de leur traitement contre le cancer, comme les antalgiques pour les douleurs. Les pratiques complémentaires, considérées comme non conventionnelles, commencent progressivement à être intégrées. Par exemple, une activité physique adaptée, auparavant proscrite et considérée non conventionnelle, est aujourd’hui reconnue comme conventionnelle et intégrée comme soin de support. Il est possible que d’autres pratiques non conventionnelles suivent cette voie.
Nathalie Renvoisé fait remarquer une différence dans la manière dont les médecins appréhendent et connaissent les pratiques complémentaires, selon qu’elles aient été validées scientifiquement ou non. Ce manque d’informations scientifiques crée de la méfiance à l’égard des indications des pratiques non validées par des études. Leur intégration dépend alors d’un travail minutieux et progressif en collaboration étroite avec les équipes de soin en s’appuyant sur des retours d’expérience concrets.
Comment les pratiques complémentaires peuvent-elles venir en aide aux personnes atteintes de cancer ?
Apaisement et soulagement temporaire
Axelle Birot, travaillant dans une unité d’oncologie, partage des expériences où la réflexologie ont apporté un soulagement. Par exemple, elle relate le cas d’une dame atteinte d’un cancer généralisé qui a ressenti un apaisement en fin de séance, réduisant momentanément ses douleurs. Bien que ces effets ne perdurent pas toujours, ils offrent au moins un répit temporaire, une “fenêtre” de soulagement quelle que soit la situation de la personne.
Personnalisation des approches
Nathalie Renvoisé met en avant l’importance de l’organisation et des outils de décision pour guider les patients pour manière personnalisée. Parfois, pour une même indication comme les troubles du sommeil, diverses techniques sont disponibles. Il est crucial de tenir compte des préférences des patients. Par exemple, même si les effets bénéfiques de la méditation sont prouvés, certaines personnes ne sont pas à l’aise avec cette pratique. Il est alors essentiel de trouver une alternative adaptée. L’utilisation d’outils méthodologiques comme des arbres de décision aide, mais il n’y a pas de solution systématique. Écouter les patients est essentiel pour comprendre comment ces approches fonctionnent et qui sont les praticiens adéquats.
Evaluation et reconnaissance
Stephanie Träger réitère l’importance de l’évaluation soutenue par la recherche. Toutefois, elle souligne aussi le rôle essentiel des retours de satisfaction des patients pour crédibiliser ces pratiques et renforcer leur reconnaissance.
En résumé
Cette table ronde a révélé le besoin de coordination entre les pratiques complémentaires et la médecine conventionnelle pour les patients atteints de cancer. Les intervenants ont souligné les défis de communication et de confiance, tout en mettant en avant les bénéfices de ces approches complémentaires, qui nécessitent une intégration progressive basée sur la validation scientifique, la personnalisation des soins et les retours d’expérience des patients pour gagner en crédibilité. C’est aussi ça la santé intégrative.
Questions du public
Comment vous positionnez vous par rapport à l’international ?
Ex : En Allemagne un hôpital soigne exclusivement à l’aide du gui, d’autres utilisent l’électricité. Certains sortent un peu des protocoles et ont une certaine ouverture par rapport aux protocoles. En France on reste franco-français et les médecins sont peu dans les colloques internationaux. Qu’en pensez-vous ?
Stéphanie TRÄGER =
Globalement les médecins français ne sont pas très anglophones, et ce n’est pas évident d’aller dans les différents congrès.
Attention, tout d’abord, elle précise qu’il a été prouvé qu’on ne soigne pas le cancer avec des injections de gui. En revanche, effectivement, dans certains pays, pour des techniques de tumorectomie pour des cancers du sein, le patient au moment de voir l’anesthésiste a le choix de voir aussi un hypnothérapeute prendre la décision de s’en saisir, ou non.
Il existe aujourd’hui la SEO = société d’oncologue intégrative qui travaille maintenant avec l’ASCO. Ensemble, ils construisent des recommandations communes notamment sur la prise en charge de la douleur, de l’anxiété et de la dépression. Donc les ponts se font.
Intervention du public = Dr WAGNER =
Je suis aussi moi-même cancérologue et je peux vous préciser que cela bouge en France, notamment grâce à l’existence de la société française de l’oncologie intégrative dont j’ai la chance d’être un des fondateurs. On recense aujourd’hui une vingtaine de centres en France qui utilisent des thérapies complémentaires.
Il déplore qu’au début de son internat, il a vu une patiente se laisser mourir d’un cancer du sein car son médecin homéopathe anthroposophe lui a interdit de se faire traiter en chimio.
Pour lui, le modèle de la santé intégrative c’est le principe des 5P prédictive, personnalisée, prouvée, préventive, participative. Il est plus facile de donner une pilule que d’avoir un réflexologue dans chaque service de cancérologie.
La question c’est comment on remplace les pilules par des êtres humains et comment on les rembourse ?
Question dans le public =
Depuis 2015 plusieurs disciplines complémentaires se sont organisées via des syndicats professionnels qui ne sont pas des associations. Un effort a donc été fait de manière conséquente par exemple de la part de la sophrologie et la réflexologie. On a beaucoup de règles nouvelles dans nos métiers donc on serait tout à fait disposés à mieux communiquer avec les médecins. Il faudrait faire des présentations générales de comment on travaille et dans quelles limites, mais ça ne tient plus qu’à nous. Nous sommes nombreux à avoir envie de travailler en coordination avec les médecins.
Stéphanie TRÄGER =
C’est effectivement l’objectif des référentiels, qui ont notamment été mis en place lors de l’ASCO. Il y a eu des études sur la méditation pleine conscience, l’acuponcture, l’ostéopathie, de manière à donner l’information, c’est une diffusion possible.
Question du public = Naturopathe ancienne infirmière ayant travaillé en cancérologie. Elle travaille peu avec les médecins car elle se fait souvent traiter de charlatane. Se sent prise de haut. Se demande du coup comment se présenter et être prise au sérieux sachant qu’elle a beaucoup de clients atteints de cancers et aimerait avoir plus de ponts possibles avec les médecins. Elle trouve ça dommage car il y aurait beaucoup à faire en commun et aimerait qu’un travail main dans la main devienne possible.
Réponse Stéphanie TRÄGER =
Quand il y a des soins de supports dans l’institution, on peut passer par la coordination des soins de supports qui est une porte de dialogue. Sinon les réseaux de cancérologie font des annuaires, peut-être est il possible de rentrer dans ses annuaires ? Les Communautés Professionnelles Territoriales de Santé s’ouvrent aussi à des praticiens de pratiques complémentaires.
Réponse Nathalie RENVOISE =
Concernant la naturopathie, il y a encore beaucoup de résistance. Quand on introduit des nouvelles approches, il faut y avoir eu en amont une validation.
Témoignage d’une femme dans le public, ayant subi un cancer du sein, avec traitement par chimiothérapie, thérapie ciblée, radiothérapie et ablation du sein. Elle est naturopathe et enseignante de yoga et a eu la chance d’avoir pu être soignée dans un institut qui intègre les soins intégratifs (massage, art thérapie, naturopathe, ostéopathe…)
Elle précise que si elle n’avait pas reçu tous ces soins complémentaires elle n’aurait pas pu supporter les traitements. Car on ne soigne pas uniquement un corps mais aussi une âme. La chimio soigne le corps, mais est très agressive et l’âme a aussi besoin d’être choyée.
Elle se sent très chanceuse d’avoir été accompagnée de manière holistique.
Réponse Nathalie RENVOISE =
Précise que l’un des premiers accompagnements pour les patients c’est de leur dire que l’on ne peut pas changer la maladie mais l’approche qu’ils ont de la maladie. Elle travaille tous les jours sur l’acceptation de la maladie, la reconnexion avec soi. On oublie effectivement parfois de prendre en considération l’âme de la personne et ces techniques complémentaires ont pour but de pallier à ce manque.
Témoignage du public =
Personne soignée à l’institut curie et qui a profité des soins de support de la maison des patients. Elle considère encore maintenant que cela a fait partie de son parcours de guérison. Les traitements complémentaires reçus à la maison des patients l’ont aidée à être actrice de sa guérison. C’est un travail d’équipe entre médecins, thérapeutes et soi-même. Chaque patient a aussi un rôle à jouer dans les clés de sa guérison.
Maria TSAKOS =
Elle a dû rentrer en France car elle vivait au Congo quand elle a appris son cancer. C’était pendant la période covid ; elle s’est donc recluse chez elle pour cause de confinement mais aussi de cancer. Cela a été l’occasion de créer son ONG.
Les médecins congolais lui ont dit de titrer profit de son expérience ; de prendre en compte la chance d’être prise en charge en France car à contrario d’autres pays, notamment le Congo, où aucun soin n’est remboursé. C’est ce qui l’a motivée à monter son ONG afin de venir en aide à ceux dont les systèmes de soins sont moins bien remboursés, mais aussi de devenir actrice de sa maladie et de quelque part en guérir.
Témoignage d’une sono thérapeute dans le public = elle a pu proposer la semaine dernière au CHU de Montpellier un voyage sonore en collectif pour des patients atteintes de personnes d’un cancer du sein ainsi qu’à leurs accompagnants. Elle précise que la santé intégrative c’est également aider les accompagnants qui peuvent ressentir beaucoup d’anxiété.
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